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La Sentinelle de Thibodaux. JOURNAL DU 9 MB DISTRICT SENATORIAL. JOURNAL OFFICIEL DE LA PAROISSE DE LAFOURCHE ET DE LA VILLE DE THIBODAUX. VOL. 27 THIBODAUX, Lne, SAMEDI, 9 JUILLET IS92. No 50 FEUILLETON. LE GOUFFRE. par Raoul de Nayery. V LE SEQUIN DE LA ZINGARELLE. -- Suite - —Non, Gaspard est le chef, mais cette bande est régie par des lois qu'Orsol lui-même est tenu de respec ter. —Adieu, Zingarelle, je suis prêt à tout entendre. Les craintes de la jeune fille n'é taient que trop fondées. Tant, que dura le dan get du blessé, les bandits l'abandonnèrent aux soins de Maugra bine mais il venait de recouvrir ses forces, et la troupe allait quitter les environs de Trieste : il fallait pronon cer sur son soit. Pu re>te, depuis quelques jours, l'humeur de Gaspard était devenue farouche, il parlait peu et d'une, voix sombre. Gabor, l'interrogeant sur ses futurs projets, avait été rudement traité par le capitaine. Il sentait que sa conduite à l'égard du gentilhomme capturé à la ferme ne paraissait ni franche ni loyale. D'un autre côté, il n'avait osé demander à la Zingarelle une confidence que celle-ci aurait dû jui offrir. Blessé à la fois dans son orgueil et dans sa tendresse pour celle qui devait être sa femme, il restait anxieux, et retardait la provocation d'un aveu indispensable. La troupe de Gaspard avait trop multiplié les méfaits pour rester davantage dans le pays, on allait prendre un parti au sujet de Carlo Alberti, et il répugnait à Gaspard de le faire avant d avoir un entretien avec la jeune fille. Mais, quelque insistance qu'il mît à la prier de lui expliquer quelles ra'sons la portaient à se dévouer pour l'étranger, la Zingarelle se contenta de répondre. —Je raconterai devant tous pour quoi j'ai le droit de le défendre. Enfin, on décida que le départ aurait lieu dans trois jours. Quand il annonça cette nouvelle aux hommes de la troupe, Gaspard semblait heureux. Ou eut dit qu il avait hâte de quitter les environs de T rieste. Gabor, son lieutenant, s'avança : —Capitaine, dit-il, tu sais à quel point nous sommes soumis à tes ordres, et combien nous estimons ta bravoure, ne te blesse donc point si nous te demandons ce que tu comptes faire d'un homme qui, après avoir tué trois des nôtres, semble plutôt tou ilote que tou prisonnier. _En vérité, répondit Gaspard, je j n'ai pas encore pris de résolution à i son sujet. J _H faudrait te presser, reprit Gabor > avec une douceur mêlée de perfidie. ^ Tu ne peux lui avoir sauvé la vie que dans l esperauce d'eu exiger une forte | rançon. 11 n y a point d'inconvénient à ce qu'il soit resté prisonnier dans eu, Souterrain . mais nous ne pourrions sans danger l emmener à notre suite. Gaspard parut froissé de l'observa tion de Gabor; mais une réflexion'; rapide le calma, et il répondit avec tranquillité : — il est dans nos usages de faire paver cher la liberté à ceux que nous relâchons Je vais faire mander ici le prisonnier, et nous saurons de lui ee que nous en pouvons espérer. — Bien, dit Gabor, nous attendrons qu'il s'explique. Evidemment, ai Gaspard n'avait j pas annoncé qu'il allait en finir avec le prisonnier, les bandits l'eussent exigé de leur capitaine. Zachée reçut ordre d'aller chercher le gentilhomme, et peu après, celui-ci entra dans la salle des délibérations. —Monsieur, lui dit Gaspard, nous vous avons traité avec courtoisie depuis que vous habitez parmi nous, et cependant c'est au milieu de ceux qui luttaient contre les nôtres avec le plus d'acharnement que nous vous a vons trouvé. Remarquez que nous nous en étonnons pas. Nous sommes hors la loi, et l'on a droit de nous tuer comme des bêtes fauvc3. Si nous vous avions abandonné dans la ferme, .vous seriez sans doute mort à cette \ ■ f ■ „ . 4 , . » * heure, tandis que nous constatons que vous vous portez à merveille. Vous plairait-il de nous apprendre votre nom ? —C'est impossible, répondit le comte. ■ ■—"Vous êtes gentilhomme ? —Je le suis, répondit Carlo en regardant les brigands en face. —Riche ? —Je l'étais il y a quinze jours ; aujourd'hui, je l'ignore. —Par quelque moyen que ce soit, vous serait-il possible de payer une rançon ? —Je ne le tenterai pas. —Réfléchissez, dit le capitaine : nous ne pouvons vous garder prisonnier. —Faites de moi ce que vous voudrez, répondit Carlo. En ce moment, un sourd murmure circula parmi les bandits. —Monsieur, reprit Gaspard avec une sorte de déférence, ces hommes me regardent comme leur maître, à la condition que je remplirai avec eux les engagements de l'association. Si vous n'acceptez pas de payer votre liberté.. . —Je suis uu homme mort. ..répon dit Carlo, c'est ce que vous voulez dire, n'est-ce pas ? —Je vous l'ai appris, nous ne gardons pas de prisonniers... — Et depuis quand devenez-vous bourreaux ? demanda la voix âpre de la Zingarelle : —Que fais-tu ici ? dit Gaspard j avec colère, nul ne t'a appelée 1 ne t'appartient pas de défendre ee prisonnier. Je t interdis do plaider sa cause; peut-être n'ai-je même été que trop indulgent. —Ah ! fit la Zingarelle, vous êtes libre, Orsol. Fuis, se rapprochant de Carlo Alberti. —11 n'a personne que moi pour le protéger, mais je suffirai à cette tâche. Je vais vous apprendre ce qui s'est passé jadis outre moi et nue «personne de sa famille. C'était à Vienne, Un jour de fête ; ma mère et moi. nous essayions de gagner quelque menue monnaie ; je chantais, je dansais tandis qu'elle disait la lionne aventure. Nous récoltions beaucoup d argent. On était au printemps, et tout le monde semblait joyeux autour de nous. Heureuses de notre recette, nous allions quitter la plage, quand une voix s'éleva et cria : —Les bohémiennes, les soieiêfcs eu prison ! Une minute plus tard on allait ajouter : Les sorcières au bûcher ! Ma mère comprit le danger ; elle i était brave, et se jeta au-devant de moi eu tirant uu st\let do sa poitrine, S il ne se fût agi que d elle, sans nul doute la Catarina eût commencé la lutte ; mais elle tremblait pour moi. Elle me serra rapidement entre ses bras, et me dit à l'oreille : j —Prends les papiers enfermés dans ma ceinture, sauve-toi à tout prix, et va rejoindre Gaspard, Cependant le mot cruel de l'homme qui venait de répéter : "A la prison, les sorcières ! "avait produit l'etiet d'une traînée de poudre. Bientôt un mouvement se produisit, puis s'accen tua dans la foule. La masse des curieux se resserra, forma une mu raille vivante, et lentement nous nous trouvâmes ^pressées dans un cercle d'où il ne paraissait plus possible de soi'tir. Cependant la foule qui nous entourait semblaitdiriger vers un but. Déjà même j'avais cru distin guer le nom du juge Ilorster. Si I nous franchissions le seuil d'un magistrat, nous étions perdues... Nous exercions, ma mère et moi, des métiers misérables. La Catarina ne bornait point à tirer la bonne aventure ; elle entretenait des relations avec Ursol, et tandis que des dames désœuvrées et riches l'attiraient dans leurs hôtels, on se préparait grâce aux renseignements qu'elle se trouvait en état de fournir. Ou l'avait dressée à cela toute enfant, elle continuait. Je comprenais le danger que nous courions, malgré mou extrême jeu nesse, et j attendais le moment d'obéir aux instructions de ma mère. Déjà les papiers compromettants avaient glissé de sa ceinture dans la mienne. En ce moment nous passions devant une église. Lçs derniers sous de la cloche s'éteignaient, et, par la porte légèrement, ouverte, j'aperçus comme dans uu rêve uu autel étincelant ; je sentis des bouffées d'eneeus et des parfums de roses, et bientôt des femmes parurent sur le seuil du temple. Je me dis que ceux qui venaient de prier se montreraient compatissants à notre misère, et, pour la première fois résistant à ceux qui voulaient m'en traîner, élevant la voix et frappant au hasard de mes petites mains, je me frayai un passage jusqu'aux premières marches de l'église ; je les gravis d'un bond, et je tombai aux genoux d'une jeune fille très-belle qui descendait gravement. "—Sauvez ma mère ! lui dis-je^ sauvez-ia !" Elle passa son bras autour de mes ,',p au j es et continua à descendre, tandis que les laquais dont elle était îtcdompagnçe lui ouvraient le chemin. ^—Ma mère ! voilà ma mère ! fis je en désignant la Catarina. . '_Où conduisez-vous cette femme ? demanda la belle jeune fille d'un air à la fois altier et doux. J—C'est une sorcière ! cria une voix. j.— 11 n'y a plus de sorciers, répon dit la jeune fille. 'y_.yious la .menons chez le juge, Horster, ajouta un homme, afin qu i lui fasse son procès. "—Le juge Horster est uu homme intègre, je le connais... Si vous con duisez cette enfant et sa mère chez le juge, il vous est indifférent de quelle manière op les y mènera.. .Laissez moi les faire monter dans mon car rosse. Vous me connaissez tous ) n'est-ce pas ? Mon père est premier ministre de Sa Majesté Marie-Thérèse. La beauté de cette jeune fille, son courage et sa bouté en imposèrent a la foule. Profitant du moment de répit que l'on nous laissait, la jeune fille, aidée des laquais, nous fit traverser la foule et nous montâmes dans son carrosse ? qui nous déposa à la porte du juge. La foule suivit à pied, curieuse et vivement intéressée. Hélas ! la Catarina ne put être tout de suite relâchée; mais le juge se montra bon pour elle, et quand il baisa la main de la fille du premier ministre, j'entendis qu'il lui disait: _Marthe le dit souvent, Mademoi selle, vous êtes un ange ! "—Marthe est une enfant qu'il faudra guérir de la flatterie, monsieur Horster... Rendez-moi Catarina bien vite ; en attendant je garde la Zinga relle.'' Ma mère pleura, mais c'était de joie et de reconnaissance. Deux jours après, elle me rejoignit. Le juge n'avait pas trop fouillé dans sa vie ; et puis les hostilités de la qu'en arrivant me rejoindre à l'hôtel, foule 1 avaient si cruellement atteinte, elle se coucha pour ne plus se relever. Pendant six jours, je veillai et je pleurai près d'elle.. .enfin elle expira dans mes bras.. .Ou plaça son corps dans un cercueil, comme si elle eût été une chrétienne, et je sais dans quel endroit de Vienne repose sa dépouille... Cette pauvre errante a une tombe, elle qui n'eut jamais uu toit. ..Sa jeune protectrice voulut me garder près d'elle ; la fortune, la tendresse, elle m'offrit tout à la fois. Mais je suis une fille de Bohème, ma mère m'avait chargée de remettre des papiers à Gaspard Orsol, et je voulais exécuter la volonté de la Catarina. .. Seulement, avant de me séparer de celle que je ne quittai point sans larmes, je lui remis un sequin sem blable à ceux dout nous formons ties colliers, lui jurant sur cette monnaie d'or que le jour où quelqu'un me montrerait cette pièce de sa part, cette personne me serait sacrée. La Zingarelle tourna ses fiers regards sur l'assemblée des bandits. —Avais-je le droit de faire cette promesse ? —Oui, oui ! qui protège la Bohême» doit être protégé par elle. La Zingarelle arracha uu collier de son cou. —C'est le collier de la Catarina, dit-elle ; regardez bien, il y manque un sequin. .. Gaspard, Gabor, vous tous, constatez la nature des pièces et la véracité de mes paroles... —C'est juste ! dirent plusieurs voix poursuis, Zinga, poursuis. — Monsieur, reprit la gitane en s'adressant à Carlo, voulez-vous me confier la chaîne d'or que vous portez. Le gentilhomme remit le bijou à la fille de Catarina. —Vous voyez, fit-elle triomphante, ce sequin complète le collier de ma mère ; et ce sequin, ee gentilhomme me l'a conté, lui fut remis par sa femme, la noble créature qui m'arra cha des mains de la populace de Vienne. Vous savez maintenant pour quoi je le protège, pourquoi il m'est sacré, comme le serait sa compagne elle-même. Pour la vie de Catarina sauvée, pour la mienne, je demande sa vie, Gaspard ; je 1 exige, compa gnons. . .Au surplus, que voulez-vous de lui ? Une rançon ? Cette rançon est prête; on s'en contenterait s'il s'agissait d'un roi. Puis, appelant Zachée et Mangra* bine, la Zingarelle ajouta. —Apportez ici ma caisse de bijoux : je solde avec cela la liberté de ee gentilhomme. Ne refusez pas, car» sur ma foi, si un de vous le touche» je le venge ! VI LE PREMIER CRIME DE GASPARD ORSOL' Le récit de la Zingarelle produisit une vive impression sur la troupe de Gaspard. Il était trop rare pour eux de rencontrer la pitié et la sympathie pour ne point témoigner leur recon naissance de services rendus. Le premier sentiment d'Orsol fut d'aller à Carlo Alberti et de lui dire : —Vous êtes libre ! Comme homme, il eût agi île la sorte ; mais le chef de bande se trouvait, dans le cas présent, obligé de prendre conseil de ses compagnons. Il se tourna vers la partie de la salle occupée par Gabor le lien tenant, et quatre des influents parmi les bandits, et son regard les interrogea. Gabor s'avança résolument. - • ■ Nous ne sommes pas faits pour eü tendre des histoires, attendrissantes de petite fille, dit-il-4'«ne voix rude. Il se £)eut qu'unè femme ait protégé la Catarina et la Zingarelle ; dans ce cas, que Dieu lui rende le bien fait à. ceux de. uotré race ! Mais rien ne prouve que l'étranger qui tua trois des 'nôtres dans là 'férme (Té'Kartî s«lf * lé mari qgjeettè coi^pAksfineri'anie j dame, il gaixjt ■son collier, soit ! mais tqu3 les sequins se ressemblent. Ce n'est pas vi'af !' répliqua la Zingarelle, ceux dir -collier de ma mère portent une marque presque invisible, gravée à l'aide d'un' poin çon. 1 —Dans tous les cas* reprit Gabor, vous avez eu le temps, ma belle enfant, de répéter cette marque sur le sequin du gentilhomme. J'avoue que j/ajoute une foi médiocre au joli conte que vous nous avez fait. ..Qui sait si le prisonnier que vous protégez d'uue façon si spéciale et si peu dissimulée ne vous a point promis, pour prix de ee mensonge, la rançon qu'il nous refuse. ..Qui sait même, si. au mépris de vos engagements, vous ne le suivriez pas volontiers à Vienne, plutôt que de devenir la compagne du chef qui vous a prise pour fiancée, et qui. à ee titre, nous oblige à vous respecter. ■—Vous êtes lâche, Gabor ! vous êtes lâche et infâme ! répliqua la jeune fille rouge d'indignation. Sur la tombe de ma mère, cachée sous des fleurs, protégée par une croix, dans un cimetière de Vienne, sur ma vie, à moi, fille de Bohême dont le seul tort fut de vivre parmi vous, j'ai dit la érité. Vous osez insinuer des infamies; si Gaspard Orsol y ajoute créance, il peut retirer la parole qu'il m a donnée. Puis, se tournant vers le chef des bandits : —Voici la bague, Gaspard. —Non ! répondit le chef, non, Zingarelle. La tille de la Catarina ne saurait mentir ni tromper. Je ne veux pas m'arrêter aux soupçons injustes de Gabor. Je crois à la pitié de la nobre jeune fille ; je crois que ce gentilhomme est l'époux de cette généreuse créature ; je crois à tou serment, et je tiendrais comme faite à moi-même toute offense qui s'adresserait à ta personne. Mais je ne puis décider du sort du prisonnier. La coutume est d'exiger une rançon en ducats... » —Ou la rançon du sang ! ajouta Gabor. —Qu'il paye ! qu'il paye ! dirent les bandits. —Ou qu'il meure / ajouta Gabor. La Zingarelle fit un pas pour se mettre au devant de Carlo. —Le premier qui s'approche, je le tue ! s'éeria-t-elle. —Eh bien ! reprit Gabor, qui comprit à l'attitude de ses compagnons que la plupart répugnaient à l'assas sinat d'un homme dont la femme avait sauvé la fiancée du chef, eh bien ! soit, faites-lui grâce de la vie, à une condition, une seule. —Laquelle ? demanda Gaspard avec empressement Suite a la page suivante.