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La Sentinelle de Thibodaux. JOURNAL DU 9 ME DISTRICT SENATORIAL. JOURNAL OFFICIEL DE LA VILLE DE THIBODAUX ET DE LA VRAIE DEMOCRATIE DE LAFOURCHE. V 7 0L. 20 THIBODAUX, Lne, SAMEDI, 2 SEPTEMBRE 1893. No. 5. No. 8. FEUILLETON LES CHATIMENTS. PAH EkCOVTIKR. X11L -Suite Ce fut un trait (le lumière pour M. d'Humbart Avant même d'être réintégré dans sa cellule de Mazas, il eut réuni un faisceau de présomptions (ju'il avait tout lieu de croire acca blante coutre M. de Veindel. Son alliance avec la Saint-Gaudens expli quait tout à ses jeux. M. de Veindel avait été excité contre Emilie par l'indigne créature (pii aurait voulu déshonorer sa sœur. Ils avaient dû comploter de la faire tomber dans quelque piège afin de la compromettre... "A la suite de la discussion du Cercle, M. de Veindel est allé effrayer la pauvre femme en lui disant (pie je méditais un assassinat.. . "L'album sur lequel ma femme est tombée sans vie, lui a servi d'intro ducteur. . .Pour le ravoir, Emilie au rait donné la moitié de sa fortune. .. "Emile a repoussé avec indignation l'infâme séducteur.. . "Veindel a insisté...Il a parlé .. . Emilie lui a jeté à la face le crime qu'il a commis... Dans un accès de rage, et pour anéantir la seule personne qui aurait pu le révé ler, il a frappé !... "Le meurtre commis, il a fallu détourner les soupçons de la justice "La Saint-Gaudens a caché, chez moi, la fatale barbe rousse.'' Ainsi raisonnait M. d'Humbart, et il se promettait bien de demander, dès le lendemain, à être interrogé de nouveau. Mais le lendemain matin, son effervescence étant calmée, il tit un retour sur lui-même et se demanda si, en faisant des révélations, il n'ag graverait pas sa situation. Toute la question pour lui était de savoir si M. de Veindel connaissait son secret. 11 resta dans une perplexité cruelle, tantôt décidé à parler, tantôt se débattant contre le doute, ou bien encore accablé par ses crises d'hébê tement qui se multipliaient par d'effrayants accès. Le juge d'instruction de l'affaire d'Humbart, avait remis au lendemain l'interrogatoire du prisonnier et or donné qu'il serait amené en son cabinet, au Palais-de-Justice. Ces vingt-quatre heures parurent interminables à M. d'Humbart. Son esprit inquiet et hésitant passa par tous les degrés de l'incertitude et de la terreur. Tantôt il était résolu à formuler tout d'un trait son accusation contre M. de Veindel ; tantôt il se disait qu'il vaudrait mieux se faire arracher lambeau par lambeau sa révélation : par moments l'idée que M. de Veindel pouvait incriminer à son tour le fai sait trembler, et alors il penchait vers le silence. Enfin, il entendit grincer les gonds de sa cellule. Il n'y avait plus A hésiter, il fallait prendre un parti. Pendant tout le parcours qui sépare la prison de Mazas du Palais-dc-Ius tice, M. d'Humbart réunit et colligea les arguments qui devaient sûrement incriminer M. de A eindel. et quand on le tit descendre de voiture, il était parfaitement décidé à tout dire au magistrat. Il avait même rédigé mentalement sa première phrase. I ^ En arrivant à la première marche de l'escalier, il releva brusquement la tète, qu il tenait baissée dans l'atti tude de la méditation. La secousse nerveuse, prodrome d'une crise, l'agita de la plante des pieds à la racine des cheveux. Il venait d'apercevoir sur la pierre une inscription tracée grossièrement au charbon. Deux mots seulement, mais qui, pour lui, avaient une sig nification terrible : Le Mannequin. Les gardes qui l'accompagnaient durent le soutenir par le bras pour lui faire gravir l'escalier. M. d'Humbart avait subitement changé de physionomie. Il était affreusement pâle ; par un mouve ment automatique, sa tête se portait de droite et de gauche et il regardait de tous côtés. Dans le couloir qui conduit au cabinet des juges d'instruction, il eut encore un soubresaut qui nécessita le soutien plus vigoureux encore de ses guides. Il avait vu une seconde fois, écrits au crayon noir, ces mots terribles : Le Mannequin. Enfin, au moment où on le pous sait dans le cabinet du juge, il eut un troisième mouvement d'arrêt et de recul. Sur le montant de la porte on avait encore écrit : Le Mannequin. M. d'Humbart arriva devant le bureau, transformé au point que le juge eut peine a le reconnaître. Le prisonnier s'affaissa sur une chaise que, sur le signe du magistrat, on avait avancée. Il était là, le corps inerte, incliné vers la gauche et prêt à tomber. Le magistrat, croyant à une indis position amenée par l'émotion, mit sous les yeux de M. d'Humbart la lettre qu'il avait écrite. Cette vue le fit tressaillir et il reprit brusquement sa position natu relle. —Remettez-vous, dit le juge ; si vous avez besoin de repos, j'irai demain à Mazas recevoir vos commu nications. M. d'Humbart tit un signe négatif. — Parlez alors, si vous êtes valide. Le prisonnier faisant un violent effort sur lui-même, dit : —Non. je n'ai rien à dire. —Voyons, du courage. Quelles que soient vos révélations, la justice peut les entendre. —Je me suis trompé, dit 31. d Humbart. Je croyais tenir la vérité. ..Non, non, je ne puis pas, je ne dois pas parler. —Ne craignez rien, ajouta le juge. Nous savons garder un secret. — Je n'ai rien à dire... En vain le magistrat essaya de lui donner du courage. M. d'Humbart se renferma dans un mutisme com plet. Par suite de la réaction nerveuse il s'agitait maintenant sur sa chaise, impatient de se mouvoir. Le juge dut renoncer à 1 interroga. toiie, il ne peidit pas un des mouve-1 ments du prisonnier, se réservant de chercher une analogie dans les anna les médico-légales. —-Remmenez le détenu, dit-il enfin. 31. d'Humbart ne se fit pas répé ter cet ordre: il sortit du cabinet en saluant, mais sans articuler une parole. Il était à bout de forces ; il et IL . <l . 14 * ^ clllS peumon^. L atmosphere chaude du ......... - l'antichambre avait cabinet et de comprimé sa respiration, que le spasme nerveux rendait déjà pénible. Le grand air lui fit du bien. Ce qui, surtout, le rasséréna, c'est que l'inscription du mur avait été effacée. On n'y voyait plus qu'une teinte noirâtre. Au bas de l'escalier, il n'y avait 1 plus rien non plus. ! Au premier moment, cette double ' constatation lui fit grand plaisir, Mais, en réfléchissant, il comprit J que c'était une preuve nouvelle de l'implacable persécution dont il était l'objet. —Ils ont les yeux sur moi, dit-il, et ils ne me laisseront pas une minu te de lépit. Ils me guettent bien... Et, arrivant dans la cour après avoir regardé de tous côtés, il ajouta non sans une pointe de désappointe ment et de colère : —Lefrançois n'est pas si habile, lui. Il n'est, pas là aujourd'hui. Réintégré dans sa cellule, 31. d'Humbart eut un accès de rage Les gardiens s'en effrayèrent beau coup. ne sachant pas que les crises se terminaient quelquefois de la sorte. Quand il eut bien piétiné le plancher de la prison, quand il eut agité ses bras et poussé des cris et des hurlements, il tomba sur son lit en murmurant : —Le mannequin!... le manne quin !.. .. Voilà le châtiment !.. XIV L'aventure de 31. d'Humbart fit beaucoup de bruit au Palais et don na à cette mystérieuse affaire un caractère plus marqué d'étrangeté qui excita vivement la curiosité des magistrats. Si le détenu était pour les magis trats désintéressés un sujet d'étudeset d'observations psychologiques et mo rales, le juge chargé de l'instruction de 1 affaire du boulevard 3Ialesherbes envisageait la question à un tout autre point de vue. autre point de vue. Pour lui, une solution était indis. pensable et il la voulait aussi promp te que possible Dès le lendemain, il se rendit à 3Iazas, et il essaya de faire parler 31. d'Humbart. Ce fut en vain. Le prisonnier, calme maintenant et froidement résolu, affirma de nou-1 veau qu il s'était trompé et qu'il n'a vait rien à dire. C'était, tout portait à le croire, un parti pris définitif. 31. d'Humbart, livré à lui-même, supporterait le secret sans changer de système ; il se renfermerait au contraire de plus en plus dans sa détermination. Cette conviction était d'autant mieux motivé que tout le monde ignorait le détail si important des inscriptions : le Mannequin , qui avaient été apposées enlevées avec une dextérité sans pareille. C'avait été encore une des prouesses de la Saint-Gaudens. Un habile émissaire avait préala blement apposé ces deux mots fatidi ques sur le montant de la porte du ; cabinet d'instruction ; il devait sur veiller constamment l'arrivée des voitures cellulaires, et dès qu'il aper V ait 31. d'Humbart, opérer rapide ; men t suivant, les circonstances. Ce rôle ne présentait pas de très grandes difficultés. Il y a vingt endroits d'où l'on peut, sans être re marqué, voir ce qui se passe dans la CO ur de la Sainte-Chapelle, . 31 d descendit de !a voiture cellulaire, il se tenait sous 1 auvent qui précède l'entrée de la police cor j ^tionnel.e, à 1 abri d'une petite pluie! Le hasard fut très favorable a cet odieux personnage ; moment où line. Dès qu'il vit le détenu, il quitta son pos^e. et, traversant un coin de mur, s engagea dans l'escalier parti culier qui conduit aux services du tribunal. Personne ne s'y trouvait, i : écrivit lestement les deux mots, cl plus lestement encore disparut pour aller répéter l'avertissement dans, le couloir. Il eut même l'audace d'entrer dans la salle des huissiers de service, où il attendit la venue de M. d'Humbart après avoir demandé un renseigne ment. le Quand il fut bien convaincu que le coup avait porté, il s'éloigna tran quillement, effaça ce qu'il avait écrit, se promettant de revenir à un instant propice faire disparaître de la même façon l'inscription de la porte ; puis il alla rendre compte de sa mission et recevoir son salaire. Certes il s'exposait beaucoup ; si on l'avait surpris, il est certain qu'on lui aurait appris à ne pas jouer avec la justice ; mais c'était un homme perdu de toutes les façons ; d'ailleurs, comme on dit, qui ne hasarde rien n'a l ieue. Le juge ne connaissant pas la cause du mutisme obstiné de 31. d'Hum bart, fut obligé de se guider d'après les précédents et de calculer les pro babilités. Il p**it deux déterminations. La première de laisser tomber le secret, la seconde de taire porter l'instruction sur la victime. Les magistrats instructeurs ont le droit de mettre une peisonne au secret, quand ils le veulent. Seuie medt, le secret n'est ordonné que pour dix jours. Si, à l'expiration de ce délai, une ordonnance nouvelle n'a pas été prise, le détenu revient au droit commun de la prison. 31. d'Humbart allait donc bientôt changer de vie ; il ne serait plus séparé du reste des mortels ; il pour rait même voir des personnes du dehors à des jours et heures déter ; minés, Le juge comptait, non sans raison, que ce changement modifierait le cours des idées du pri sonnier. D'un autre côté, les investigations sur le passé de 3Ime d'Humbart pou ' aient donner une piste nouvelle. 31. Lefrançois fut le premier inter rogé pour cette nouvelle série de renseignements. Il fit à grands traits l'histoire de sa famille et indiqua la haine que portait la Saint-Gaudens à j sa sœur aînée. —Croiriez-vous, demanda le juge, que cette haine ait été poussée jus qu'au meurtre ? —Certainement non, monsieur le juge, répondit le lieutenant, mais de telle façon que le magistrat conserva quelques doutes. Ce fut ensuite le tour de Mme. 31orand et de .Marguerite. Elles firent l'une et l'autre les plus grands éloges de 3Ime. d Humbart. Le juge ayant demandé si 31. de Bertillon habitait constamment à Paris, la nourrice répondit qu'il allait toutes les années passer deux mois sur les bords de la mer, à Etretat, où il possédait un chalet, mais que 3Ime. d'Humbart ne l'y avait accompagné qu'une année Elle avait pour cette résidence une invincible répugnance. —Savez-vous pourquoi ? demanda | l e j UCV( . ! —Non ! tout ce que je puis dire, lendemain elle obtenait de 31. de Bertillon l autorisati ou de revenir à p. ir ; s en emmenant Mlle Marguerite "mol I . . 3 ous i appelez-vous cet incident,, C 'est qu'un jour elle revint affolée de3 bord s Je IWau, et que d» le mademoiselle ? —J'en ai conservé un vague souve nir ; j'étais tout entant : 3Ime d'Hum hart ne m'en a parlé depuis qu uue seule fols ; le nom de 31. Veindel avait été prononcé : elle me dit vive ment et presque avec effroi : "Ne parle jamais d'Etretat ; et immédiate ment elle changea de conversation. J'avais pour 3Ime d'Humbart une affection sans borne ; je me suis tou jours abstenue de revenir sur ce sujet, malgré l'envie que j'en aurais eue, car je suis très curieuse. Ces paroles, dites avec une char mante naïveté par Mlle 3Iarguerite, ne furent pas perdues pour le juge, qui fllaira quelque nouveau mys tère. M. de Veindel, à un nouvel inter rogatoire, fut adroitement amené à parler d'Etretat C'était un homme subtil, 31. de Veindel ; il pressentit la question avant qu'elle n'eût été formulée, et bien qu'elle le frappât droit au cœur, il soutint sans fléchir le regard scruta teur du juge. — 31. de Bertillon, répondit-il sur un ton indifférent, aimait beaucoup Etretat, qu'il avait adopté bien avant que cette station de bains n'eût acquis sa grande et légitime réputa tion. Il s'y rendait toutes les années et y passait deux ou trois mois. —Emmenait-il tous ses gens ? —Oui, monsieur. —Pourquoi donc 31rae d'Humbart ne le suivait-elle pas et restait-elle à Paris ? —Je l'ignore. 31. de Bertillon était très bon pour elle et la laissait à peu près complètement libre. La lumière ne veuait pas non plus de ce côté, pour le moment du moins. Mais si 31. de Veindel avait eu assez d'empire sur lui-même pour se conte nir en présence du juge, il n eu conçut pas moins une irritation mêlée de terreur quand il réfléchit aux consé quences possibles d'une investigation sérieuse sur son passé à Etretat. La ^istice avait eu une indication, bien vague sans doute ; elle venait, il n'en pouvait douter, de Mlle 31ar guerite ou de sa nourrice. Il lui était de la plus grande importance de savoir jusqu'à quel point elles étaient instruites des événements qui avaient éloigné 31 me d Humbart d'Etretat 31. de Veindel - savait que 31me 3Iorand et 31ile 3Iarguerite restaient enfermées et que 31. Lefrançois veil lait sur elles. 3Iais bien renseigné par ses espions, il épia le moment où le lieutenant venait de les quitter, attendit une demi-heure et se présen ta chez le concierge. —Ces dames ne sont pas chez elles, dit le fidèle gardien. —Oui, je sais, répoudit-ii ; mais pour moi elles y sont ; je viens de la part de 31. Lefrançois, pour une affaire urgente ; voici sa carte. En effet, il montra une des cartes du lieutenant que le valet de chambre de 31. d'Humbart avait soustraites, et sur laquelle il venait de tracer quel ques mots au crayon. Le concierge, sans méfiance après avoir vu cette sorte de passeport, laissa monter 31. de Veindel. Il sonna, et à la question de 31 me. 31orand ; Qui est là ? au lieu de .Mme 3Iorand retira était poussée sous la la carte porte. qui Sa jtiment de 31arguerite, elle alla la consulter. La jeune fille fut du même llv ' s ( l ue sa nou riiee. M ^anyois a sans doute recom mandé a son mandataire d'être très prudent, dit-elle: c'est pour cela r c*P on J ie de 'De 'oix, il glissa sa carte sous la porte. j-aZt qu'il n'a pas parlé. De plus, le lieu tenant a écrit: "Urgent et important" ^ a v ' te - Suite a la page suivante.