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jH Sentinelle de Thibodaux, JOURNAL DU 9 MB DISTRICT SENATORIAL. JOURNAL OFFICIEL DE LA FARCISSE LAFOURCHE ET GARDIEN DES INTERETS DE LA VILLE. VOL. 31 THIBODAUX, Lne, SAMEDI, 1 FEVRIER 1S9<>. Ko 27 15 M Iti FKUILLKTON on On n U Q M onCure i W B r— Jean - FAR - I>F. ! A B K ETE /'Academie Franaise Couronne par J'ri.r Monti/on XV ii — Le desservant du l'avol est vieux comme liérode, monsieur le curé ; il vieillit beaucoup, et je surveille les signes de son aliiiiblisse ment avec une tendre sollicitude. Ne seriez-vous pas content île le remplacer ? — Evidemment si ; cependant j'au rais du chagrin eu quittant ma paroisse. Voilà trente-cinq ans que j y suis, et j 1 l'aime, maintenant. — Maintenant ! vous lie vous y Otes pas toujours plu ? — Mais non. Keine ; vous savez combien c'e-t triste. Peut-être n'a vez- ous jamais pensé que j ai été jeune. Me lèves n'étaient pas pi censément les mêmes que les vê.ti -, mon petit enfant, mais j au rais ai.ne : - vie active; j'aurais ai nu voir. : u-ndre liien des choses, car je r.'. iais pas intelligent et je désirais des r uiirees intellectuelles qui m'ont tou,ours manqué. Ensuite, avant de vous avoir dans mon exis tence, je n ■ .os,' lais ni atî'ection, ni amitié autour de moi. Mais ou surmonte 1 ennui et tons les ehag.ins, IlVmc, quand on le veut bien. J étais bien heureux depuis longtemps avant votre de art du Buisson : j avais ont ». ié les longues journées si tristes et si m au v a -..-r, de ma jeunesse. Le bon ciné regarda devant lui d'un air un peu rêveur, et moi, qui n'avais muais -uiigé en le voyant toujours gai, ati-f.ait, qu'il avait pu souffrir dans un temps, je me sentis attendrie devant -a résignation si vraie, si douce, sans ie moindre fiel, "Vous v tes un saint, mon euré ) di-jt eu lui prenant la main. — Chut ! Ne disons pas de sottises, chèie enfant. J ai souffert d'une existeua* îupriniée, mais c'est le soit, voy /.-vous, de tous mes cou fi ères dont 1 esprit est jeune et actif «le von ai parlé de cela pour! von - faite compt.-ndre qu'on peut très . • ue a s ...s idées, et je me O s a urelî !U que, en fait rais i en n est comparable à tout -apporter, .'ou peut retrouver le boni.cur. la .aieté, lorsque les épro .iss : ont p -ces et qu'on les ( ..il;.: i • e : rage. ,lc « -m : s fort liien, mais le eu ré -ait - ! r -- F • 11 esert. J'étai-- r-> , ■ pour n ôtre pas de ch - iui au - ir ma In irais. '•Si ■ : • ■ du V. >1 C-t U' Ue U 11 jour ,.i--i-s ce'! 1 eu 1 , d v aller, Ucine; seul. . 1 . e - i :-.ii;;.mien; m* dépend pas bn moi. - t • . ■ - v-o« mais mon oui le ■i a.-, mil i Y-y e pie, il arrau conn géra fui:-- '. du i : • une loi v ieii.x ch. - - •: 1-ii' è a C. . . >* dans F- oncle, il • utt-n* de vous . <■ . .a. nx nv ce \ oim e:t il. . : i -nieL .i ms un mil -je. «L v a. - i.ur que le cun • au ciet. Cette i .able, puisqu'il est Vous aurez um rêveuse, près du feu, répondait par monosyllabes à M. de Conparu au ]' i\<>! depuis quarante huit heures. belle église et une chaire, monsieur le curé, une vraie grande chaire !" Les chevaux partirent, et je me oeneliai à ni portière pour voir plus longtemps mon vieux curé, qui me faisait des signes d'amitié sans pen ser à mettre son chapeau sur sa tête, car une heureuse, une joyeuse espé ra uce était entrée dans son c imr. XVII Cette visite au curé ne m * lit qu'un .burn momentané. L'effet salutaire de ses paroles s'évanouit rapidement, je retombai dans mes idées noires, et mon oncle tout en maugréant intérieurement contre les femmes, les nièces, leur mauvaise tête et leurs caprices, parlait de nous conduire à Paris, Blanche et moi, pour me distraire, lorsque, bien heureusement, les évè nements se précipitèrent. A quelques jours de là, M. de Pavot reçut la lettre d'un ami qui lui demandait d'amener au château un de ses cousins, un M. ue Kerveloch, ancien attaché d'ambassade. Mon oncle répondit avec empres sement qu'il se.ait heureux de rece voir M. d- Kc rvv loch et l'invita a déjeuner sans -e douter qu'il courait au devant de l'événement qui, en engloutissant son rêve, devait me resMiseiter a la joie et a l'espoir. Le surlendemain, j'ai de bonnes r.lisons pour me rappeler .éternelle ment ce jour fameux,—le surlende main, il faisait un trmps épouvanta ble. Selon notre habitude, nous étions réunis dans le salon. Planche assise, Mon < nclc limit son journal, et moi je m'étais réfugiée dans une embra sure de fenêtre. Tantôt je travaillais avec une ardeur nerveuse, car j'avais une passion pour ies travaux à l'aiguille ; tantôt je regardais le le ciel noir, la pluie qui tombait sans interruption ; j'écoutais le vent rugir, ce veut de novembre qui pleure d'une façon si lamentable, et je me sentais fatiguée, triste, sans le moindre pressentiment heureux, quoique, dans le même moment, le bonheur accourut vers moi au trot précipité de deux beaux chevaux. Pc minute en minute, à la dérobée, je jetais un coup d'œil sur Paul. 1! îcgardait Blanche avec une ex pression qui me donnait envie de l'étrangler. "A-t-il l'air stupide, me disais-je avec ses grands yeux ouvert», fixes, presque» hébétés ! Oui, mais si j'étais n la place de Blanche, s il me contemplait de la même manière, je hi trouverais charmant, plus sédui -aut que jamais, i) bêtise, ô incon sé qui uce humâmes I ' Et je piquai mou aiguille avec tant de rage qu'elle se cassa tout net. En cet ii. tant, nous entendîmes une voiture appro. -lier du château. 'Ion oncle plia »on journal, Junon di. - . l'o; i.illo eu disant : -'Voilà une visite et, quelques secondes jiiti tard, ou introduisait p:ès de nous l'a un de mm oncle et son attaché d'muba--aile. Je ne suis pourquoi ce titre était inséparable dans mou esprit, de la vieilie-sO et de la calvitie. Cepen duut, non -euh-ment M. de 1\-rveloch n'était ni vieux, ni jeune, ni chauve, mais, à part Fniiiem» 1er sur sou polirait, je n'avais vu d'homme aussi . -. -11 physiquement. Quand il entra, j'eus la peinée que -a. belle tête renfermait des idées matrimoniales. Il avait trente ans ; ! sa taille était assez élevée pour que j Paul, auprès de lui, parût transformé j en pygmée ; son expression était J intelligente, hautaine, et telle que personne, à première et même à j seconde vue, ne lui eût octroyé l'an réole de la sainteté. Assez froid, 1 mais courtois jusqu'à la minutie, il avait de grailles manières et une aisance qui subjuguèrent Blanche séance tenante. M. de Kerveloch la regarda avec admiration, et lorsque, se levant pour partir, je le vis debout près d'elle, je constatai avec line joie secrète qu'il était impossible de voir un couple mieux as-orti. Chacun, je crois, fit à part soi la ! même remarque, ear Caul nous quitta ■ avec un visage assombri. Junon joua dix fois de suite la pensée de W eher ou quelque chose d aussi ennuyeux, indice chez elle d'une grande preoccupation, tandis que-mou oncle nous observait l'une et l'autre j d un ai F soucieux et narquois. j M. de Kerveloch vint dejeuner le , lendemain au l'avol ; trois jours ■ après, il demandait la main de Clan eue, et deux semaines avaient passé | sur ce fait lorsque j'écrivis au curé : ( "Mon cher, l'homme est un petit , animai mobile, changeant, capricieux: 1 une girouette qui tourne à tous le» | caprices de 'l'imagination et des tir constances. Quand je dis l'homme, ! j'entends parler de l'humanité entière, car ma personne est aujourd'hui le petit animal en question. "Je ne suis plus désespérée, je n'ai plus envie de mourir, mon curé. Jt trouve que le soleil a retrouvé tout son éclat, que l'avenir pourrait bien me reserver des joies, que 1 univers fait bien d'exister, et que la mort e t la plus stupide invention du Créateur "Blanche se marie, Monsieur le curé ! Blanche se marie avec le comte de Kerveloch ! Dieu, qu'ils se con viennent bien ! ... Et il s'en est fallu d'un fétu, d'un atome, d'un rien, qu'elle accepta M. de Conprat ! .. .Un homme qu'elle n aimait pas et auquel elle reproche de trop manger ! Trop manger. . .est-ce absurde, cette considération ? et n'est-il pas rationed d>- manger beaucoup quand on a bon appétil ?—Si vous me demandez comment les événements ont ainsi tourné brusquement au l'avol. c'est à j peine si je pourrai vous répondre. Je; suis bouleversée, et tout ce que je 1 puis vous dire c'est qu'un beau jour, un jour radieux,—non, i! pleuvait à torrents, mais n'importe!—un jour, dis-je, M. de Kerveloch est arrivé -ici, ! conduit par lin ami de mon oncle, En le voyant entrer, j'ai deviné qu'il i avait une idée de derrière la tête, j deviné qu'il plairait à Blau-.-he. car il ! a toute les qualité qu'elle rêvait dans ! son mari. M. de Kerveloch l'a j regardée en homme qui sait apprécier lu beauté, et. quelques jour- après, il 1 l'honneur de l'épouser,! s. llic-itn.it comme disent mon oncle et Féti ({nette. "Junon est sortie (le sa nonchalance habituelle pour déclarer avec chaleur que jamais beau chevalier ne lui avait autant pin et (pi'elle refusait décidé ment M. de t'unprat. -■Voilà, mon cher curé ! C est clair, simple, limpide, et depuis c • t- mps, je lève aux étoiles comme par le nasse ; je mets la bride sur le cou de ! mon imagination, je la lui- - " -'t.-r | hotter jusqu'à ce qu'elle ne oui-s. j plus courir, et je danse >rua J chambre quand je suis t - • ; ' . . ' . Ah ! mon cher curé, je ne * >nr quoi je vous aime aujouiuY al dix f- -is plus qu'à l'ordinaire. Votre ex dente figure me paraît plus riante que jamais, votre affection plus touchante, plus aimable, vos beaux cheveux blancs, plus charmants, "Ce matin, j'ai regardé les bois sans feuilles, qui me paraissaient frais et verts, le ciel gris, qui me semblait tout bleu, et, soudainement, je me suis réconciliée avec l'imagina tion. Je me repentirai toute ma vie baguette magique, les pare de sa propre beauté. "Que le petit animal «st donc changeant ! Je n on reviens pas. A quoi tiennent l'e-q.éramv, m joie?' A quoi sert de se désoler, quand le--' choses s'arrang -ut si bien mois qu'on s'en mêle ? Mais pourquoi swi- je -y gaie quand rien uVste: core décidé pour mon avenir, et qt.ainl je ré lié - chis qu'il n'est pas pus-ihie d'aimer ih-ux fois dans le cours de son exis ;en e ? Quel chaos, mon curé ! Il n'v a que (ies mystères en ce monde, et dôme est un abîme insondable. Je crois (pie quelqu'un, je ne sais oû, a déjà émis cette pensée, p-.-ut-êiiv même l'ai je lue plus tard qu'hier, mais j'étais bien capable d en dire autant. "Cependant, quand mon imngina ton s'apaise, mes idées joyeuses sont saisies d une panique irrésisli de l'avoir traitée si vilainement l'an fie jour. C'est une fée, mon cher curé, une fée remplie de charmes, de puissance, de poésie, qui, en tquehant les choses les plus laides de sa ble ; elles se sauvent, s'envolent, disparaissent, «ans que souvent je puisse les rattraper. Car enfin il l'aime, Monsieur le curé, il l'aime ! Le vilain mot, appliqué comme je l'applique en ce luoment ! "Vous m'avez dit qu'il n'était pas rare d être amoureux deux fois dans sa vie, mon curé ; mai* en êtes-vous sûr? Etes-vous liien convaincu? L'amour attire l'amour, dit-on : s'il savait mon secret, peut-être m'aime rait-i! ? Vous qui êtes un homme de sens, Monsieur le curé, ne trouvez vous pas (jue les convenances sont idiotes? 11 suffirait probablement d'un aveu de ma part pour faire le bonheur de toute ma vie, et voilà que des lois, inventées par quelque esprit sans juge::: nt, m'empêchent d - suivre mon penchant, de révéler m s pensées secrètes, d'apprendre mon am ur a celui que j'aime ! A vrai dire, je ne sais quoi, au fond du cœur, m'obligerait également à garder le silence et.. .quand je vous disais que l'âme est un abîme insondable ! Mon cher curé, je vois une proees -ion d'idées noires qui s avancent vers mm. Mon Dieu, que l'homme est mal équilibré ! "Sans doute, les circonstances modifient les idées. Mou oncle va jusqu'à prétendre que les imbéciles seuls ne changent jamais davis; mais en est-il du cœur comme de la tête ? "Kclairez-moi, mon vieux curé." Quand un projet était décidé, M. M e î >ay ol n'aimait pour l'exécuter. principe, il décida que le manage de point tergiverser Partant de ce Blanche aurait lieu le 15 janvier. La déception avait été rude lui ; mais il eut d'autant l'idée de contrarier sa tille 1' *' connaissait mon amour, yu il franc, loyal, sensé et incapable de s'entêter dans un rêve, lorsque le bonheur de .-a nièce était en jeu. Quant à Paul, il supporta son • laiheiir : ' eu un grand courage. A.....i •' hv petit« en a ... q... "■ "i '-I n 'il sVu doutât, i! :■ éprouva pas la moindre velh'ite d ■ g.i.- uoii larouehe. Je certifie qu'il ;jamais l'idée j d empoisonner son uval ou de lui couper galamment la gorge clans quelque coin de bois s >h aire et poétique. Lorsqu il sut ses espérancesanéan t es, i! vint nous voir avec le com mandant. Il tendit la main à Blanche en lui disant d'un toa franc et naturel : '-Ma cousine, je ne désire que votre bonheur, et j'espère que nous resterons bons amis." Mais cette façon d'agir en héros de comédie ne l'empêchait pas d'avoir beaucoup de chagrin. Ses ''Kites au l'avol devinrent très rares ; quand je le voyais, je le trouvais changé moralement et physiquement Alors je pleurais de nouveau en en- bette, tout en m.- mettant, en rage • -< > ti t : t» lui. !; i ui été si logique de m aimei ! si r. , .iim l de voir que ••os deux uat m es se ressi>mb!aient eiKinném -nt et que je l'aimais à la folie ! \ raiment, si le- h mîmes étaient toujours logique:-, le monde n'en irait pas plus mal, et le inoral des gens non plus. XVII1 Le In Janvier, i! f-o-.it un temps superbe et un froid iiès vif. La campagne, couverte du givre, avait un aspeet féerique. Junon, extrê mement pâle, était si belle dans ses vêtements blaues que je ne me hissais {»as de la legarder. Je la comparais a cette nature froide et splendide qui, paré ■ d'une blancheur éclatante, semblait être mise à l'unisson de 'a beauté. Après le déjeuner, die monta chez elle pour change:- de los'ume. Elle rede-eendit très ému ; non- nous embrassâmes tous d'une iaçon pa thétique, et en route peur l'Italie ! "Lebeau moment, ! • I eau moment!" disais-je en m i-ra m -. Mes émotions multi; les m'avaient fatiguée et j'avais soil de solitude. Laissant donc mon oncle su débrouil ler avec scs convives comme il l'en tendrait, je piis un manteau fourré et m'acheminai vers un endroit du pare que j aimais particulièrement. Ce parc était traversé par une rivière étroite et courante; sur un certain point de son parcours, elles s'élargissait it formai: une cascade que des pierres, habilement disposées, avaient rendues haute et pittoresque* A quelques pas de la cascade, un arbre était tombé, le pied d'un côté de la rivière, la tête sur l'autre berge. Il avait été oublié danse tte position, et lorsque, au printemps suivant, mon oncle voulut le fa re enlever, il s'aperçut que la sève se manifestait par des rameaux vigoureux qui pous saient sur toute la longueur du troue, il lit jeter eu autre .arbre à côté du premier, relier h-s branches entre elles, planter îles imiu-s que Fou fit courir sur les deux souches, H, le temps aidant, ram aux et liane y devinrent assez épais pour que mon oncle eut un pont rustique et original que l'on pouvait traverser avec le seul danger de »'empêtrer dans les brandies et de tomber dans l'eau. C'était cet endroit solitaire et \ assez éloigné (lu château que j'avais j choisi pour théâtre de mes médita. j tion.-;. Je m'arrêtai près du pont j c j mr oô de givre, afin de réfléchir à j , uvcnir et (t ;llll)1!rer | j Je ne depuis combien de ; t eœ p S réfléchissais ainsi, sans me soucier du froid qui me piquait ie et d admirer les énormes i glaçons qui pendaient à la cascade, j que la gelée avait a:r, e- dans -a | course. qui me piquait visage, F r-que je vis »'avancer vers moi l'objet de ma tendresse, comme dirait Mme Cottiu. Suite a la pi j; suivante