La
Sentinelle de Thibodaux,
JOURNAL DU 9" E DISTRICT SENATORIAL.
JOURNAL OFFICIEL DE LA PAROISSE LAFOURCHE ET GARDIEN DES INTERETS DE LA VILLE.
VOL. 33
THIBODAUX, Lne, SAMEDI, 11 DECEMRBE 1S97.
Ko 20
FEUILLETON
No. 12
Il SE .& El Si a a ; a
Par ELIE BERTHET.
X
-1. A VISITE.
-Suite -
Le docteur Jean se leva.
—Monsieur, repiit-il, «n m'attend
pour la séauci d'aujourd'hui «ur la
place publique et l'heure in« presse :
vous m'exeuscitz donc ....
—Je pars, répliqua Deluzy ; mais,
s'il faut l'avouer, tout cela me
chiffonne......Votre médicament
étant aussi efficace que vous le dites,
comment pouvez-vous refuser U
somme que je vous offre Y
—C'est peut-être-, muimura le
docteur d'une vous sourde et pro
fonde, que je Lais, tomme vous le
haïssez vous-méme, l'ancien tauneur
J olivet qui, dan» son honnêteté
Brutale, s'est montié souvent impi
toyable ......
—Que dites-vous là Y » écria
Deluzy au comble de la surprise ;
vous connaissez ...... Où doue
l'avez-vous vu Comment se fail
li ? ____
J eu u posa un doigt sur sa bouche;
Kobdlard, le nègre, le joueur é'orgue,
dans l'habit de leur rôle, venaient
chercher leur maître.
—Nous nous lèverions, docteur,
dit Deluzy avec précipitation ; je
commeuee à compr«udre .... Je
vous laisse donc a vos affaires ....
mais, une autre fois, nous causerons.
Il salua légèrement et sortit.
Le charlatuu, courant à la feuêtre
qui donnait sur la cour, s'assura que
le maître de forge remontait dans
son tilbury, où l'attendait Julien, et
s'éloignait en effet. Alors il se
se laissa tomber accablé sur un siège ;
on eut dit d'un acteur qui vient de
remplir un lôle pénible. Comme
Robiliard le pressait de s'habiller
pour la soi lie dans la ville, le doe
teur Jeau dit d'un ton ferme :
--Noua allons abréger cette der
nière séance, Robiliard, attendu que
bous quitterons Saiut-Siméon ce soir
même. Prévenez i'aubergiste, et
que nos équipages soient piêts dans
deux heures.
_ Bonne JJeus ! mou cher maître,
est-ce possible Y Nous réussissions
si bien ici ! Nous axions l'eepeir d'y
vendre jusqu à la dernière de nos
boîtes ....
_Nous partirons ce soir ; c'est
décidé et vous savez que je ne
reviens jamais sur mes décisions.
Robillaid s'inclina ; le docteur
était obéi de ses gens autant qu'ai
mé, et chacun promit de se confor
mer à ses ordres. Après une séance
qui fut 'les plus lucratives sur le
champ de foire, ou se hâta de rentrai
H l'auberge ; et, veis la tin du jour,
le charlatan, avec ses voitures et son
monde, quitta la ville, au grand
étonnement de tou» ceux qui eurent
connaissance de «e déliait inattendu.
xi.— LES petits PAQUETS
Il y avait à la Forge, auprès des!
bâtiments de l'usine une étroite!
terrasse, taillée dans le ioc, et à
laquelle on accédait, du jardin du
château, pat une légère passerelle
De celte tei tasse, où s ole
en fer.
vait un kiosque rustique, <m domi-.
naît la chute de l'Ain.
Celte terrasse était un lien de
prédilection pour Joséj hier Jolivet.
Chique jour elle venait, un livre à
la main, passer quelque-« instants
* dans le kiosque C'est N ;uc nous
ta trouvons, le lendemain matai *i
jour où Deluzy était allé à la ville
faire visite au docteur Jean.
Ce matin-la. Mlle Jolivet se moi
trait plus triste et plus abattue que
d'habitude. Le temps était magni
fique. Un chaud soit-il éclairait la
rivière. Quelles oiseaux acquati
ques, des kirouuelies tie rivage, des
ciueles ou merles d'eau, des martins
pêcheurs aux aile» d'azur, volti
geaient <;u st là, et leuis cris aigus se
faisaient entendre j ardessus le fracas
Je Ut cataracte. L espèce de pou S
sière d'euU, répandue- dans l'atmcr
phère, avait une fraîcheur délicieuse ;
les mousses humides des rochets
exhalaient de vivifiantes odeurs.
.Malgré cette fête de la nature, sans
doute les réfiexions de Joséphine
n'av aient pas pris une tournui» gaie,
car des iaimes eileucituses coulaient
sur ses joues.
Elle était à «ette place depuis
longtemps déjà et c:oyait d'autant
moins devoir se contrairdie que,
d'ordinaire, personne ne venait y
troubler sa solitude. Elle finit ce.
pendaut par donnai- de» signes d'agi
tation involontaire. Elle se sentait
enveloppé d'uuo espèce de guide
magnétique, semblable a celui que
luue*J« serpent sur le rossiguol pour
le fasciner et le dévorer. Sou ma
laise s'accroissant, elle se retourna.
A I entrée du kiosque, un homme,
dont le bruit de la chute d'eau avait
empêché d'entendre l'approche, se
tenait immobile et la regai da it :
c'était le bonhomme Blaisot. Les
lunettes bleues, qu'il portait d'habi
tude, avaient disparu, et sou regard
trahissait uue hardiesse extrême.
L« premier sentiment de Joséphine,
à la vue de cet homme, fut de l'effroi.
Opendaut, elle essuya rapidement
ses pleuis et dit, en afléètaut un ton
calme :
— Ah ! c'est vous, monsieur Blai
«ot ; q u'y a-t-il ? Yeaez-vous m'an
neucer que l'on m'attend pour déjeu
ner ?
Le teneur de livres répliqua, avec
l'accent douceieux qui lui était
ordinaire :
—Non, Mademoiselle ; je vous ai
vue ici---- de loin____et l'idée
■'est Tenue d'approcher pour ....
pour vous offrir ces fleur».
Il lui présenta un gios bouquet,
qu il tenait à la main.
—A quoi pensez-vous Y répliqua
Joséphine en s'efforçant de tourbe :
ug b ouquet, à mot ? Oubliez-vou»
que j'ai à ma disposition toutes les
fleurs du jardin Y
—Mademoiselle, c'est un hommage
de respect ......d'admiration ....
Il m'a semblé, ajouta-t-il d'un ton
sentimental, que vous avez parfois
du chagrin et que l'existence iju'ou
mène a la Forge n'est pat de votre
goût .... Si voue ne dédaigniez pas
un humble ami, bien dévoué, caj-a
bie de vous protéger......Je nu
suis pas aussi âgé que je veux le
paraître ; j'ai toute la chaleur d'âuae
du jeune homme, avec l'expérience
de l'homme mùr .... et je ne crains
personne ici......
—Que me fait tout cela, monsieur
Blaisot ? Je vous répète que je n'ai
nullement besoin .... Mais on
m'attend à la maison, souffrez que je
me hâte d'y retourner.
Blaisot eut l'audace de la retenir
par le bras,
—Vous feignez de ue pas me
comprendre ? reprit-il. Eh bien !
apprenez ce que je brûle de vous
dire depuis longtemps ; je vous ..
— Eh ! eh î s'écria une voix
moqueuse derrière lui, maître Blaisot
devient diablement gaiant !
Joséphiue, confuse et irritée,
dégagea son bras, tandis que le
teneur de livres sc retournait brus-!
queiuent et se trouvait en présence
de Deluzy. Le maître de foige, plu
railleur que furieux, affectait de
ricaner. Joséphine indignée s'écria:
—Monsieur, vous devriez mo
mettre a l'abri tie certaines offenses
et recommander à vos inférieurs ..
Biaisot se redressa arrogamment
—Qu'il l'essaye ! dit-ii ; qu'il ose
Seulement élever la voix, prononcer
un mot____Je l\n défie !
Le maître «le fuige continuait ue
ricaner, mais sc taisait. Joséphine
le» legat'd a l'un et lai,U* avec «ton
uemeut. Blaisot, satisfait sans doute
d'avoir biavé son patron, jeta le
bouquet dans la îivièfe et s'éloigna
d'un pas majestueux, sans ajouter
une parole. Deluzy était un j t u
confus de i indulgcj.ee- qu u avait
pour l'insolence du U-ueir tie livies.
Néanmoins L dit bientôt uc sou ton
léger :
:
—Il ne faut pas, ma chère prendre
au sérieux les lubies de ce ridicule
bonhomme; cssl un vieux serviteur,
euiièieintiit sou® mu dépendance, et
je lui pa»se bien de» sottises. Tout
a i'henie eucotc, j ai reculé devant la
néceasité de lui paner tiopduiemeut
.... Mais ne donnons pas d'impor
tance a cette misère .... Venez,
Josephine ; ou nous attend |>our
déjeuner et \otie peiu chante ttujà
*ur tous les tons son lefiaiu habituel.
iis te dirigèrent a leur tour vois
la passerelle. L.u bonne «Joséphine,
eu réfléchissant, n «tait pas lAchee
du résultat pacifique tic celte petite
aventure. D'ailleurs, elle n avau
pus vu son beau fiére depuis la
vcnle, et supposait qu U avait quel
que chose a lui communiquer au
sujet de son entrevue avec le chaila
tuu. Elle ne se tiouipaii pas.
Dientôt le maille de l'orge reput :
—J'ai trouvé hier, a baiut îsiméon,
le docteur Jeau et sou plue Robil
iard. Malgré sou étal, ce charlatan
est un brave homme. Croyez-vou»
que, sou aide et lui, out refusé la
récompense que je leur offrais pour
le servie» rendu a Léon Y
— Ce docteur Jeau, répliqua José
phine, m'a paru délicat et bieu
«levé.
Eu même temps, elle observait
timidement Deluzy, peur s'assurer
s'il ue cherchait pas à. dissimuler
quelque arrière-pensée. Deluzy, sous
le couji d'uiie autre préoccupation,
poursuivit :
nourriture----un chaque jour.
poursuivit
—C'est un excellent médecin, à
e qu'on assure ; voulant le rému
nérer, d'une manière quelconque,
pour l'affaire «le Léon, ai-je eu l'idée
de le consulter au sujet de votre
père, dont les douloureuses halluci
nations sont pour nous tous uue
cause continuelle de chagrin. J'ai
eu raisoa ; «ar il affirme qu'il est
facile de soulager le malade, de
dissiper tes humeurs noires, et, pour
cela, il m'a remis, «outre tiuaaces,
un médicament des plus efficaces.
—Est-il possible ! quel est «e
médicament ?
Il consiste en six petits paquets
d'une poudre blanche et sans goût,
que M. Jolivet doit prendre dans sa
Et Deluzy tira de sa poche
papier contenant les six paquets.
—Seulement, ajoutf-il, vous savez
combien votre père est défiant, rebelle
à la médecine.... Il sera difficile de
lut faire prendre volontairement cette
substance dont ou attend merveille.
—Donnez-îa moi, répliqua José
phine avec empressement et en s'em
|
'■Mi charge,
comme on
•pmirvu de
tre avait-il
d'amener
proposition,
■a belle-sœur
paiant du papier ;
Le maître do
sait, était absolum i. L
sens moral, et j■.
manœuvré dans !,
Jos ph.ne à faire i.
Néanmoins, en vovas ;
se pie ter si facilenit i t a ses projets,
il ue pu* se défenoiv d'un certain
malaise.
Lu vérité, ma chère, reprit-il,
ne devrions-nous pas y regarder deux
fois avant de nous fier à ce charlatan
nomade ?
Ou 1 nous pouvons mettre notre
confiance en lui, répliqua Joséphine
avec ciialeur ; le docteur Jean est
aussi loyal qu'expénm. nié.
— \ ous le connaissez Y
—Nullement ; mais, pendant les
quelques heures qu'il a passées ici,
j ai pu apprécier ce qu i y avait en
lui de franchise, de générosité et de
haute raison......Un homme vul
gaire n eût pas exposé sa vie pour
sauver celle de votre fils et celle de
tous les gens qui se trouvaient dans
le bac du Saut !
—Ou dit que les femmes sout
physionomistes, reprit Deluzy avec
un sourire étrange ; !e mieux donc
est de s'en rapporter à elles ....
Puisque vous voulez, gardez ces
paquets et admiuistrez-les en temps
et lien .... Il n'est besoin d'en
parler à personne, car si nous ne
réussissions pas, il y aurait sujet de
nous reprocher notre facilité envers
ce médecin des carrefours.
Pendant cette conversation, on
avait traversé le jardin et on était
arrivé au château. Le maître de
forge dit tout bas :
—Puisque vous avez confiance,
ma chère enfant, n'attendez pas
indéfiniment pour essayer le remède
du docteur .... Le plus tôt sera le
mieux.
Joséphine fit un sigue d'approba
tion, et on eütia dans la salle à
manger, où le reste de la famille
était réuni.
A l'arrivée des survenants, tout le
monde s'installa autour de la table.
Le maître de la maieon se montra
beaucoup plus parleur et plus gai
que d habitude ; sa gaieté avait
même quelque chose de uerveux, de
fébrile, qui excitait l'étonnement des
autres convives.
Il fit plusieurs fois allusion à celui
qu'il appelait "l'amoureux transi"
de Joséphine, et semblait trouver
l'aventure fort plaisante, Mlle Jolivet
ne répondait à ses saillies que par
un sourire équivoque.
Comme le déjeuner tirait à sa fin,
Joséphine se leva et s'approcha d'un
guéridon.
_Puisque notre cher père a été
bien gentil aujourd'hui, dit-elle de ce
tou câlin que l'on prend avec les
enfants, je vais lut préparer une
tasse de café.
—Du café ! du café ! répéta le
vieux dont les yeux brillèrent de
joie ; on ne m eu donne jamais.
Deluzy, qui était debout et qui
tenait à la main un petit verre de
liqueur, examinait furtivement la
jeune fille. Elle tournait, le dos à
son père, et elle versa, dans la tasse
destinée au vieillard, le contenu d'un
papier qui, ensuite, dispaïut preste,
ment entre ses doigts Alors, elle
revint ver-- J< Ael, ci "• piit de sou
tou caressant :
—Voilà comment i on récompense
ce ux qui sont sages !
Jolivet, tremblant de plaisir, s'em
para de h tasac et la vin.
.4 continuer
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